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Dernière lettre du mythique président du mythique club de foot

Mes parents ont fait fortune dans l’agriculture, l’élevage bovin. Mais leur fric n’a pas suffi : à midi, le jour tant attendu du recrutement au centre de formation, j’étais renvoyé à un rôle de simple spectateur. Ils avaient pourtant pris une carte « membre bienfaiteur ». On se parlait peu dans le vestiaire, à douze heures moins le quart. Anxiété sur les visages. Sauf dans le coin gauche, où des « fils de pros » se savaient, forcément, évidemment, retenus, privilégiés accompagnés de quelques comparses, gamins poussés par des proches, membres du Conseil d’Administration. Des non pistonnés furent retenus : vraiment au-dessus du lot. Il fallait la grande classe ou le piston. J’étais vedette de notre petit canton et nous avions terminé invaincus la saison, et même remporté la coupe départementale. Certes pas en FFF, Fédération Française de Football mais en UFOLEP, une « autre fédération », totalement amateur, dont la signification m’échappe actuellement, sûrement Union du Football... J’étais un peu meilleur que les fils de stars, les fils de notables. Aucun n’est passé pro, je le sais parfaitement : à trente-deux ans je devenais le plus jeune président d’un club de division II et à l’issue d’une saison époustouflante nous remontions parmi l’élite après trois années de « purgatoire », selon l’expression consacrée. A cette époque, à part pour pistonner son fils, son neveu, un voisin ou obtenir des places gratuites au stade, nul ne voyait l’intérêt de devenir président d’un club de foot. Bénévole et toutes les emmerdes. Son nom et sa photo dans le journal quand même. Peu de demandes ! La fortune de mes parents, ridicule au regard de celle des industriels, suffit pour obtenir, à 28 ans, un siège au Conseil d’Administration. Le club venait de sauver sa tête parmi l’élite. Mon bagout, mes « idées » et surtout l’absence de candidats, ont fait le reste. Quand « le vieux lion » jeta l’éponge, « le jeune homme dynamique » s’imposa naturellement. Et ce fut la décennie de légende. Le désir de revanche n’aurait pas suffi. C’est en observant le petit trafic de mon père que l’idée m’est venue, et son vétérinaire m’a confirmé la faisabilité. Pauvre fou ! S’il s’était contenté du foot, aujourd’hui lui aussi aurait la légion d’honneur. Sa passion du vélo l’a perdu ! Enfin, dans ma situation, cette remarque est sûrement déplacée ! Même si je l’avais emmenée, l’arborais, elle ne me servirait pas à grand-chose, cette distinction.

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Quand j’avais dix ans, mon père en était encore à l’agriculture ordinaire : il achetait des jeunes veaux, six semaines environ, les engraissait et les revendait pour l’abattoir. C’est cette année-là qu’un vétérinaire belge est venu s’installer dans la région, et a démarché... Pourquoi pas essayer, s’est dit mon père, puisqu’en Belgique ils pratiquent ainsi. On ne va quand même pas arrêter le progrès. Alors pourquoi pas en profiter. De tout manière si on ne trouve pas une solution, dans même pas dix ans on mettra la clé sous la porte. Ma mère était réticente. C’est avec cet argumentaire qu’il a emporté la décision. Une piqûre et en quinze jours la bête gonfle, des fesses du tonnerre : elle passe en première catégorie sur la chaîne d’abattage. Plus de poids et le kilo mieux payé ! Le gain permet de s’acheter cent cinquante doses ! Calcul sûrement approximatif. Je ne m’en suis jamais préoccupé. Certes, il ne faut surtout pas manger de cette viande ! Aucune consistance ! On tuait une bête par an, celle-là, on la bichonnait. Mais pour les gens des villes, c’était déjà bien suffisant. Ils ont voulu de la viande à tarif « abordable », ils ont eu « la baisse des prix. » Certes, il y a bien eu des ratés : attendre trois semaines, c’était risquer une crise cardiaque, le vétérinaire était formel, et la mésaventure nous est arrivée quatre ou cinq fois. Ne soyez pas trop gourmands, contentez-vous du gain obtenu en quinze jours. Naturellement, après quelques mois, mon père a vite compris la légère absurdité d’élever des veaux durant des mois pour les piquer au dernier moment, et il s’est spécialisé « finisseur », un intermédiaire entre l’éleveur patient et l’abattoir. Ne sont plus passés à la ferme que des bœufs « bons à tuer. » Dès leur arrivée : piqûre ; deux semaines plus tard : abattoir. Et vingt-cinq pour cent de gain au passage. Moyenne. Le Crédit Agricole nous a bien aidés, pour rafler l’ensemble des terres sur le marché. Et à 18 ans, je me suis installé, pour bénéficier des prêts « jeunes agriculteurs. » La plus belle ferme du canton ! Avec même des vaches laitières dans une stabulation à logettes et une salle de traite entièrement automatisée. Ensemble à peine rentable mais dont ma mère était tellement fière, montré en exemple, visité par des cars entiers d’alléchés par la nouveauté ; s’ils avaient su d’où provenait réellement l’argent dans cette ferme, combien auraient évité de s’endetter !

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Je me souviens parfaitement de notre conservation. J’avais 19 ans. - Ton laboratoire, il ne fabrique que des hormones de croissance pour les bœufs ? - Tout ce que tu veux, je te le procure. Pourquoi, tu as des projets de diversification ? - Les chevaux ? - Je te transforme un tocard en gagnant du prix d’Amérique. Il s’était associé avec son fils, le vétérinaire. Trois ans de plus que moi, on se tutoyait, forcément. Lui comme moi, finalement, ça nous intéressait de prouver aux parents nos compétences, notre capacité à voler de nos propres ailes, alors on s’est aussi associés. 50-50 dans l’achat de tocards, 50-50 pour les gains et la revente. Jackpot. Comme c’est agréable de s’acheter une villa à la mer avec de l’argent gagné de ses propres combines et laisser sa décapotable devant la discothèque la plus huppée du département. Les filles en étaient dingues.

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Mon premier mariage fut mon premier échec. La monogamie, à l’époque, m’était impossible. C’était tellement facile. Elle a gardé cette première villa à la mer. Nous sommes restés en bons termes quelques années, amants.

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Un soir : - Et avec les humains ? - Tu veux te transformer en super homme ? - Je ne te parle pas de moi... - Tu t’es sûrement aperçu que les pays de l’Est raflent la majorité des médailles olympiques. - Et d’un footballeur moyen, tu en ferais quoi ? - On ne fera jamais un Pelé ou un Platini avec une piqûre... mais des types super endurants, infatigables durant quatre-vingt-dix minutes. - Mais ils nous feraient pas une crise cardiaque ? - Y’aura des pots cassés... mais faut savoir ce que l’on veut ! Quelques crises cardiaques... il suffirait d’un bon médecin pour affirmer qu’il souffrait depuis l’enfance d’une malformation et n’aurait jamais dû, blabla, blabla. Trois mois plus tard, j’entrais au conseil d’administration.

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Quand je suis devenu président, Daniel, mon meilleur ami, le fils du vétérinaire, ne voyait toujours pas l’intérêt : « même si tu deviens champion de France, même si tes joueurs jouent en équipe de France, même s’ils sont achetés des millions par les grands clubs, tu ne toucheras pas un franc. » Le football professionnel stagnait encore à un stade amateur et les télévisions étaient accueillies les bras ouverts sans que personne n’ait même l’idée de leur demander un centime. Il considérait toujours ce poste comme une bonne revanche par rapport à mon échec au centre de formation. Mais j’avais mon plan !

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